Pigments de Léon Gontran Damas

Léon-Gontran Damas (né le à Cayenne, mort le à Washington, DC), est un écrivain, poète et homme politique français. Léon-Gontran Damas était métis blanc, amérindien, noir.

Il est cofondateur du mouvement de la négritude avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor dans les années 1940. Grand amateur de jazz, il publia en 1937 Pigments, recueil de poèmes préfacé par Robert Desnos où il se révolte avec violence contre une certaine éducation créole d'inspiration bourgeoise qu'il voit comme uneacculturation imposée. Un de ses grands thèmes est la honte de l'assimilation. Engagé dans la politique, il fut député de Guyane.

 

Contexte historique

L’école coloniale française promeut une petite partie de la jeunesse colonisée afin de l’assimiler et d’en faire la future élite destinée à encadrer les populations des colonies. Si l’esclavage est aboli depuis quelques décennies par la république française, puissance coloniale, sa politique d’assimilation n’aide pas encore à reconnaître les profondes différences culturelles et ne se préoccupe pas de traiter des problèmes issus de l’esclavage.

Les plus doués des jeunes scolarisés parviennent à la fin des années 1920 dans les classes préparatoires des lycées parisiens. Léopold Sédar Senghor (1906-2001), sénégalais, et Aimé Césaire (né en 1913), martiniquais, font connaissance en 1932 dans la khâgne du lycée Louis-le-Grand, à Paris ; leurs itinéraires personnels, leur vie difficile dans le contexte parisien, alors que vient d’y triompher, porte de Vincennes, l’Exposition Coloniale (1931) et leurs rencontres avec les militants politiques du quartier Latin les amènent à fonder vers le milieu des années 1930 le Mouvement de la Négritude : le monde Noir, affirment-ils, a une pensée, un sensibilité, un art, une parole qui lui sont propres et qui ne peuvent se satisfaire des voies de l’école française ou de l’académisme européen. La compassion post-esclavagiste et l’assimilation scolaire leur sont insupportables. Léon-Gontran Damas (1912-1978), Guyanais, est le tout premier à publier dans cette orientation ; il le fait avec virulence.

C’est un jeune éditeur d’avant-garde, Guy Lévi-Mano, dans le quartier Montparnasse à Paris, qui publie sur sa petite presse typographique à épreuves, en 1937, Pigments, recueils de poèmes assez tranchants pour l’époque. Guy Lévi-Mano est en effet alors un des jeunes éditeurs les plus actifs pour faire connaître les publications poétiques profondément nouvelles, en particulier surréalistes.

A la déclaration de guerre, en 1939, Pigments est interdit par la censure, en raison d’appels à la conscience critique, si ce n’est à la rébellion, des enrôlés Noirs, sortes de nouveaux esclaves, dit Damas, que les conflits internes à l’Europe ne concernent que de loin.

  Analyse des images

Si la couverture du recueil adopte les formes graphiques usuelles du goût des années 1930 (sobriété, équilibre, tracés géométriques épurés, fonctionnalisme), le frontispice de Frans Masereel s’impose avec une force éclatante. Masereel, belge, (1889-1972) est un des meilleurs graveurs sur bois du vingtième siècle. Il est marqué par les thématiques sociales et, à cette époque, anti-nazies ; il pratique brillamment le style des premiers expressionnistes allemands.

Masereel, dans un style assez géométrisé typique du style « moderniste » de cette époque, fait jaillir un jeune Noir, nu, d’un énorme col de chemise amidonné, symbolique de la puissance financière du monde riche. A gauche, la grande ville moderne s’écarte en s’inclinant ; à droite, les arbres tropicaux, plus souples, s’écartent aussi. Le corps noir au centre se dresse comme une forte nuée sombre au sortir d’un volcan.
Frans Masereel ne grave pas ce bois sans se rappeler les Ballets Nègres, Joséphine Baker, ou encore l’engouement alors nouveau pour le jazz. Mais sa gravure ne cherche pas la séduction exotique. Elle clame la révolte nue, corps noir se découpant sans transition (ce que la technique du bois gravé permet bien) sur une lumière blanche qui est celle d’une explosion.

  Interprétation

Le corps

Le corps jeune est puissant, muscles massifs : il signifie la force d’une civilisation, déjà mûre, qui doit se faire connaître et reconnaître. Elle naît, mais elle naît déjà adulte, dit le graveur Masereel. Comme dans l’iconographie classique antique puis européenne Athéna naît adulte, vêtue et casquée, de la cuisse de Zeus. L’homme noir naît, nu, fort, debout, puissant.

L’espace

L’espace montré par la gravure est significatif : comme la bouche d’un volcan, le col empesé dont naît l’homme noir, est ceint d’un nœud papillon, luxe du monde blanc ; le symbolisme est évident, même naïf. Mais le géant blanc est décapité. Dans son dos se lève, encore peu visible, un peuple noir, bras parfois levés, exultant ou dansant. L’espace est rapproché, la gravure étroite et serrée : on étouffe dans ce monde. Les grands arbres tropicaux ondoient sous le souffle de l’explosion, les immeubles partent en oblique. Mais l’explosion de la naissance de la négritude ne les détruit pas : Masereel indique que la négritude participe au monde moderne, où elle revendique toute sa place ; et même elle va l’enrichir.

Le haut de la gravure est particulièrement révélateur. On y voit le sommet des gratte-ciel, une nuée verticale, un bras levé et une main ouverte (et non pas le poing fermé communiste), une tête, la cime des arbres : tout cela inséré dans une lumière d’explosion qui est aussi une lumière d’aube.

Auteur : Yves BERGERET

 

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