Littérature haïtienne

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L’histoire de la littérature haïtienne démarre à partir du 1er janvier 1804, date à laquelle fut proclamée l’indépendance d’Haïti, autrement dit, la naissance de cette première République noire. L’écriture en français de l’acte de l’indépendance et de la déclaration de l’indépendance d’Haïti détermine le choix linguistique officiel du nouvel Etat-Nation, par un petit groupe d’officiers indigènes, libérateurs, qui ne sont autres que des anciens membres de l’armée française coloniale. Bien que la masse des esclaves libres, l’ensemble des soldats et des officiers, tout le peuple en somme, ne partagent que le créole comme seule et unique langue de communication commune, le français sera considéré de fait, pendant longtemps, comme langue d’Etat, langue administrative et langue littéraire. C’est dans ce contexte socio-linguistique que vont évoluer nos premiers écrivains et leurs nombreux successeurs.

Les premiers écrivains haïtiens seraient des éclaireurs sans boussoles, sauf à considérer l’influence de quelques classiques français mal digérés. Les écrits de ces pionniers, comme on les appelle usuellement, naissent aux lendemains de l’épopée de 1804. La littérature de cette génération, qui s’étend sur la période allant de 1804 à 1836, n’a pas su s’échapper des hauts faits guerriers comme sources d’inspiration. Les poètes (Antoine Dupré, Jules Solime Milscent, Juste Chanlatte, Hérard Dumesle, etc.) ont tous chanté la liberté et l’indépendance à travers des hymnes on ne peut plus dithyrambiques.

La première vraie école littéraire s’est constituée avec ceux qu’il convient d’appeler les premiers poètes lyriques haïtiens (1936-1970). Influencés par les poètes romantiques français, les frères Ignace, Eugène et Emile Nau, les frères et cousin Céligny, Beaubrun et Coriolan Ardouin, les frères Lespinasse, Beauvais et Dumay formeront le Cénacle de 1836. Nul ne saurait dédaigner l’intention combien méritoire de ces hommes qui, préoccupés par la langue littéraire, en appelleront au caractère national de la littérature haïtienne. En dépit de leur manque d’ingéniosité, l’on pourrait parler de créolité avant l’heure, à bien lire Emile Nau écrivant que «la France ne lirait pas sans plaisir sa langue quelque peu brunie sous les Tropiques».

Mais cette langue française tropicalisée que désiraient les écrivains du Cénacle trouvera ses lettres de noblesse avec les poètes de la deuxième vague de ce qu’on appelle le romantisme haïtien (de 1870 au début du XXème siècle), particulièrement avec Oswald Durand (1840-1906), l’auteur de la fameuse chanson «Choucoune» (1883), qui n’hésite pas à employer des mots régionaux ou carrément créoles dans ses poèmes. Aussi, les années 70 sont marquées par des luttes politiques fratricides et surtout par l’affront du capitaine allemand Batsch au drapeau haïtien – l’affaire du capitaine Batsch en 1872: 15000 dollars pour deux commerçants allemands qui ont prétendu avoir subi des dommages du temps des présidences de Nicolas Geffard (1859-1867) et de Sylvain Salnave (1867-1869). Dès lors, naîtront sous les plumes des poètes, des romanciers, des dramaturges et des essayistes de cette deuxième vague romantique une écriture dite patriotique. Parmi les noms à retenir on peut citer Oswald Durand, Virginie Sampeur (première poétesse haïtienne), Massillon Coicou, Louis-Joseph Janvier, Hannibal Price. Je nommerai également Anténor Firmin qui, en réponse à l’Essai sur l’inégalité des races humaines de Gobinau, publie en 1885 L’égalité des races humaines (Anthropologie positive): un ouvrage qui a eu un certain écho en France à l’époque.

De 1895 à 1902, la revue La Ronde donnera lieu à un grand mouvement littéraire. Les œuvres des poètes (Edmond Laforest, Charles Moravia, Dantès Bellegarde, Ida Faubert, etc.) et des romanciers dits «réalistes» (Frédéric Marcelin, Justin Lhérisson, Fernand Hibbert, Antoine Innocent, etc.) de la Génération de la Ronde (1895-1927) sont très abondantes. Ces écrivains vont rompre relativement avec l’esprit patriotique de leurs prédécesseurs. Etzer Vilaire (1872-1951), l’un des plus illustres poètes de cette école, sera taxé plus tard de bovarysme – considéré comme un aliéné qui tourne son regard vers l’extérieur, en gommant son intériorité en tout ou en partie. On retient de lui ces fameux vers qui cristallisent partiellement l’esprit du groupe:

«Eclectisme, à présent tu dois régner dans l’Art,
Il nous faut tout savoir, tout sentir et tout fondre;
Etre un, oui, mais, divers et vaste».

En 1915, les américains débarquent au pays et l’occupent jusqu’en 1934. Cette occupation pousse certains intellectuels à vouloir créer une littérature plus identitaire en réaction à l’acculturation – influence française et occupation américaine oblige. Ainsi l’on retrouvera la revue La Nouvelle Ronde (1925), suivie de La Revue indigène et La Trouée (1927), dirigées par ceux que l’on fera passer pour les premiers illustrateurs du mouvement indigéniste haïtien: Philippe Thoby-Marcelin, Jacques Roumain, Emile Roumer, Carl Brouard, etc. Jean-Price Mars (1876-1969) demeure, malgré lui, le précurseur de la négritude, le premier théoricien et père du mouvement indigéniste haïtien avec son fameux ouvrage ethnographique Ainsi parla l’Oncle(1928), ouvrage dans lequel il convie les haïtiens à (re)considérer leur folklore et leurs pratiques orales, issus des traditions africaines qui représentent le substrat de leur identité. La revue Les Griots (1938-1940) va sceller ce mouvement qui sombrera dans la dérive du discours identitaire, avec ce que les intellectuels haïtiens d’avant-garde appellent le «colorisme» ou le «noirisme» prôné par le Dr François Duvalier, l’un des fondateurs de cette revue.

C’est au cours de la période indigéniste que naîtra Le Drame de la Terre (1933), une œuvre de Jean-Baptiste Cinéas qui inaugure le roman dit paysan: un genre nouveau qui sera renforcé par le chef-d’œuvre de Jacques Roumain, Gouverneurs de la rosée (1944) et d’autres œuvres plus tard. L’année 1960 marque la parution de la revue Haïti littéraire et la rupture avec l’Indigénisme. Autour de la romancière Marie-Chauvet Vieux (l’auteur de Amour, Colère et Folie – 1968), les écrivains de Haïti littéraire et bien d’autres, influencés par le surréalisme qu’ils transformeront et par des modèles locaux comme Roumain et Jacques Stephen Alexis, écrivains et adeptes du marxisme, Magloire Saint-Aude et René Bélance, poètes d’une grande fulgurance, influencés, dis-je, par ces derniers, les écrivains d’Haïti littéraire vont produire des œuvres d’une autre fibre esthétique. S’en suivra le mouvement «spiraliste» lancé en 1968 par René Philoctète, Frankétienne et Jean-Claude Fignolé. Puis on débouche sur des voies diverses avec de nombreuses œuvres de poètes, de romanciers, de dramaturges et d’essayistes qui édifient la richesse, la complexité, la modernité et l’originalité de la littérature haïtienne contemporaine. Les écrivains haïtiens, migrants ou résidants en Haïti, sont désormais légions et explorent de multiples pistes et de multiples chemins.

Chapitres cours

1 - Gouverneurs de la rosée de l'écrivain haïtien Jacques Roumain
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