Le sublime et le joli; L'art

Deux idées voisines de l'idée du beau doivent être définies: le sublime et le joli.

Pour Kant, le sublime est spécial, ne ressemble en rien au beau. Le beau se présente toujours à nous avec un aspect défini; le sublime nous donne l'impression de l'illimité. En même temps que le sublime et le beau se distinguent par leur nature, les émotions qu'ils nous donnent diffèrent. Le beau donne un plaisir calme, tranquille; le plaisir du sublime est mêlé de douleur. Quand nous avons contemplé le sublime, il se produit en nous, selon Kant, une légère douleur, une sorte d'aspiration vers cet infini du sublime que l'esprit ne peut embrasser tout entier. C'est là ce qui produit cette gêne, agréable cependant; car cet effort pour saisir le sublime a beau être impuissant, il est élevé, et nous lui devons un contentement d'ordre supérieur. Voilà pourquoi Kant, dans sa critique du Jugement, a fait du sublime une idée à part, bien distincte de celle du beau.

Si cette définition était vraie, le sublime ne serait jamais dans ce qui est bien défini; pas de sublime dans la littérature classique. Quoi de plus précis que le: "Qu'il mourût!" d'Horace? N'est-ce pourtant pas là un bel exemple du sublime?

Nous ne mettrons donc pas un abîme entre le sublime et le beau; le premier n'est que la plus haute expression, le maximum d'intensité du beau. Mais, puisqu'il y a deux espèces de beau, il doit y avoir deux espèces de sublime: le sublime dans la force, le sublime dans la richesse. Les vers cornéliens si simples et si forts, sont sublimes: une plaine immense qui nous offre le spectacle le plus varié, ne l'est pas moins. Il faut accorder ce nom à tout ce qui mérite de le porter: Rodrigue ne le mérite pas plus que Faust.

De même que le sublime est l'apogée du beau, le joli en est comme le diminutif. Le beau est l'état normal de l'art: le joli en est un caprice; le sublime, un heureux accident.

Ce qui caractérise le joli, c'est une mesure parfaite entre les deux éléments du beau, l'unité, la variété. On pourrait dire encore que dans le joli la force le cède un peu à la variété. Le joli est facile, voilà ce qui le caractérise surtout.

Comme le sublime, comme le beau, le joli n'existe qu'en revêtant une forme sensible. Donner une forme à l'idéal esthétique, c'est l'oeuvre de l'art.

Pris dans son sens le plus général, l'art s'oppose à la théorie. C'est l'ensemble des moyens destinés à appliquer les vérités établies par la spéculation. Quand l'art s'occupe uniquement de réaliser le beau, il prend un nom nouveau et forme les beaux-arts. C'est de ces derniers que nous allons parler.

L'art est comme un langage. Les choses sont les signes à l'aide desquels il pourra exprimer le beau. Il va chercher dans la réalité sensible les formes avec lesquelles il exprimera l'idée esthétique. La matière en elle-même n'a aucune valeur esthétique; elle l'emprunte toute de ce qu'elle exprime. De même que les mots n'ont pas de sens par eux-mêmes, les formes que l'artiste emploie ne servent qu'à rendre sensible l'idéal conçu par l'artiste.

On a souvent distingué deux grandes doctrines dans l'art: l'idéalisme et le réalisme. L'idéalisme est l'art qui cherche à nous faire oublier la réalité, à atteindre autant que possible l'idéal. Peu lui importe ce que sont les hommes et les choses. L'artiste idéaliste nous montre les hommes et les choses avec des proportions plus grandes que nature. Le réalisme au contraire, réduit l'art à une reproduction photographique de la nature. Le réaliste se défend de rêver, s'interdit l'imagination, copie. Il veut nous montrer les choses comme elles sont, ni plus grandes, ni plus petites que nature. Il veut nous montrer la réalité telle qu'elle est.

Le réalisme mérite-t-il réellement le nom d'art? Ne sont-ce pas là deux expressions contradictoires? Il nous le semble. L'art a pour objet d'exprimer le beau: le beau est idéal ou n'est pas. La science, non l'art, a pour objet de nous apprendre ce qui existe. L'art doit nous ménager à côté des petitesses des mesquineries de la vie réelle, une vie idéale qui nous repose de la première, où tout serait élevé, agrandi. Tel est l'objet de l'art. Le réalisme se comprend comme une science d'observation: c'est l'histoire du présent. Mais il n'est pas un art s'il proscrit l'idéal.

L'idéalisme, assurément, doit prendre son point de départ dans le réel. Il commence par observer ce qui existe pour l'idéaliser ensuite. Mais c'est la seconde partie de cette tâche qui est son oeuvre propre et original.

A cette théorie de l'art, il faut joindre une classification des beaux-arts. Ils expriment le beau sous différentes formes: ce sera la base de nos distinctions.

Il y a, pour exprimer le beau, deux grandes espèces de forme: les formes plastiques, pour la vue; les sons, pour l'ouïe. Ce sont là les deux sens esthétiques.

Nous avons donc déjà ainsi trois catégories: les arts qui s'adressent à l'ouïe, ceux qui s'adressent à la vue, ceux qui s'adressent à la fois à ces deux sens.

On pourrait classer les arts compris dans chacune de ces catégories par la plus ou moins grande aptitude de leur forme à exprimer le beau. Ainsi, pour les sons, la poésie est évidemment plus propre à exprimer l'idéal esthétique que ne l'est la musique. De même, dans les arts visuels, la couleur est plus propre à exprimer le beau que la sculpture ou l'architecture.

Partant de là, nous pouvons répartir ainsi les divers arts entre ces groupes:

Arts qui s'adressent à l'ouïe: Musique. Poésie.

Arts communs à l'ouïe et à la vue: Art dramatique, art oratoire.

Arts qui s'adressent à la vue: Architecture. Sculpture. Peinture

Telle est la classification des beaux-arts.

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