La décolonisation armée : la Guinée portugaise

De la fin des années 50 jusqu'au début des années soixante beaucoup de pays en Afrique accédaient à l'indépendance. Mais le Portugal refuse d'abandonner ses colonies. Les Portugais se sont rendus compte que si elles étaient libérées, le néo-colonialisme de Salazar ne pourrait pas être imposé. Ainsi, alors que d'autres pays devenaient libres, l'emprise sur la Guinée s'affermit. Le résultat fût la plus longue guerre de libération que connut l'Afrique : une guerre de "guerilleros" menée par le PAICG avec l'aide significative d'Union Soviétique et du Cuba.

Dans les années 50, alors que le pays ne s'était jamais vraiment soumis à l'occupant portugais et que plusieurs régions africaines s'émancipent, les idées indépendantistes commencent à germer et mènent à la création en 1956 du Parti Africain pour l'Indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC) dont le fondateur n'est autre qu'Amilcar Cabral.

La fin de la décennie marquera le début de la fin pour le Portugal en raison d'un évènement aujourd'hui entré dans l'histoire de la Guinée-Bissau. Le 3 août 1959, la grève des marins et dockers du port de Bissau est violemment réprimée par l'armée portugaise : plus de 50 morts seront à déplorer et cette journée restera dans l'histoire comme le "massacre de Pidjiguiti". C'est l'étincelle qui fera prendre au PAIGC la voie de la lutte armée et le chemin de la guerre d'indépendance.

Quatre années seront nécessaires au PAIGC pour s'organiser et s'armer. Cette guerre de libération commencera vraiment en 1963 et grâce à des actions de guerilla permettra à l'armée de libération d'occuper 5 ans plus tard, en 1968, plus de deux tiers du territoire.

Désormais politiquement et militairement bien organisé, le PAIGC réussit rapidement à s'attirer la sympathie et la bienveillance de plusieurs nations du monde telles que la Suisse, l'Union Soviétique, la Chine et de nombreux pays du tiers-monde dont le Maroc et la Guinée Conakry. Le monde intellectuel, diverses forces sociales et politiques ainsi que la jeunesse des pays d'Europe occidentale et des Etats-Unis soutiennent ce mouvement d'émancipation et lui permettent d'obtenir en plus des appuis matériels et logistiques une tribune pour exprimer les doléances du peuple bissau-guinéen : Amilcar Cabral pourra s'exprimer à l'ONU et ira même jusqu'à être reçu par le pape Paul VI au Vatican en compagnie des leaders des autres mouvements de libération du monde lusophone (FRELIMO du Mozambique, MPLA d'Angola).

 


Conscient de la rapide déroute portugaise, le gouverneur, le Général António de Spínola (1968-73), s'essaye à une stratégie de division entre le PAIGC et les populations locale en arguant du fait avéré que les cadres du PAIGC étaient pour la plupart des métis capverdiens, Amilcar Cabral le premier. Son programme “Por uma Guiné Melhor” (Pour une Guinée Meilleure) est censé offrir plus d'équité et de justice à ceux qui, il y a si peu de temps, faisaient partie, pour l'administration, des "non civilisés".

Ce programme "Pour une Guinée Meilleure" reposait sur :


1)
le parti fasciste União Nacional (illustration à droite : le logo du parti)
2) la petite bourgeoisie locale indispensable pour ses compétences administratives et ses liens avec le Portugal
3) la promotion accélérée d'une nouvelle petite bourgeoisie composée uniquement de "vrais fils du pays" promus socialement dans l'administration, dans la hiérarchie des troupes d'élite et, qui bénéficiant d'une telle situation, sur lesquels on pourrait un jour compter.
4) l'encouragement d'une rivalité entre ces deux bourgeoisies, laissant aux Portugais le soins de jouer les justes arbitres
5) le jeu de la carte ethnique basé sur le pouvoir traditionnel valorisé avec la création des "assemblées du peuple" (chaque communauté ethnique avait son assemblée) : les rivalités entre les différentes assemblées focalisaient les rancoeurs en faisant oublier pour un temps que l'occupant portugais était à la base du problème. Le recrutement militaire permettait également la division du pays grâce à un recrutement ethnique attirant sur l'éthnie recrutée la haine des ethnies maintenues en dehors de l'armée d'occupation.



Un autre aspect important du programme "Pour une Guinée Meilleure" reposait sur une propagande aggressive et omniprésente :

- implication directe des militaires, base du véritable pouvoir colonial, dans la propagande en vue de diminuer l'influence du PAIGC. Pour s'attirer la sympathie du peuple, l'armée ira jusqu'à prêter ses camions pour le transport de matérieux de construction des habitations dans les villages !
- augmentation du nombre d'enseignants dans le primaire (les zones contrôlées par le PAIGC avaient créé leur propre système scolaire)
- amélioration du système de santé par la construction de dispensaires
- promotion des populations locales dans le sport et notamment dans les équipes de football
- développement et utilisation intensive des médias : journaux télévisés, radio, programmes culturels, temps d'antennes en langues locales offerts aux différentes communautés ethniques
- diffusion à grande échelle de prospectus de propagande
- déplacement en personne du gouverneur Spínola (qui deviendra en 1974 le président du Portugal) arrivant du ciel en hélicoptère pour palabrer, entouré d'enfants, avec la population et écouter leurs doléances (manque de riz ou d'écoles).

La carotte n'était bien sûr qu'une partie de la politique du gouverneur. Le bâton avait plus que jamais sa place : ceux qui n'étaient pas "du bon côté" étaient châtiés sans pitié (nombreuses excécutions arbitraires).

Malgré toute cette énergie dévouée au programme "Pour une Guinée Meilleure", cette opération était morte-née. L'indépendance était inéluctable en dépit de l'aveuglement du Portugal qui pensera règler le problème d'une manière pour le moins expéditive : il fera assassiné le 20 janvier 1973, à Conakry, Amilcar Cabral, leader du PAIGC, par petit commando armé. Cet évènement, au lieu de retarder la conclusion du conflit ne fit que la précipiter. En mars de cette même année, le premier avion de combat Fiat G-91 est abattu par un missile sol-air Strella. En représailles de l'assassinat d'Amilcar Cabral, une opération militaire d'envergure portant le nom du défunt leader est en outre lancée dans le quart sud-ouest du pays pour prendre la place forte de Guiledje, entre Quebo et Cacine, précipitant la fin de la présence portugaise en Guinée. Le 22 mai 1973, le Sud-Ouest de la Guinée est conquis et occupé par le PAIGC.

Quatre plus tard, le 24 septembre 1973, la première Assemblée Nationale Populaire est convoquée pour déclarer l'indépendance et la création de l'état souverain de la République de Guinée-Bissau. Ce nouvel état est immédiatement reconnu par 63 pays de la communauté internationale et rentre à l'ONU. Luís Cabral, demi-frère d'Amilcar est alors élu premier Président de la République. C'est à 5000 kilomètres de la Guinée-Bissau que se scellera la dernière étape du processus menant le pays mais aussi les autres colonies portugaises à l'indépendance totale : le 25 avril 1974, les militaires portugais conscients du désastre militaire et de la nécessité de mettre fin à l'empire colonial déclenchent la "Révolution des Oeillets" qui met fin à 48 années de dictature. Les forces d'occupation sont immédiatement retirées de Guinée-Bissau.

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