La valeur de la vérité

A/ Vérité, croyance, opinion

1/ Jugement objectif et jugement subjectif

Si les mathématiques proposent un modèle d'accès au vrai dans l'ordre de la connaissance, elles ne permettent pas d'appréhender la façon dont un sujet se rapporte à ce qu'il tient pour vrai. Il faudrait pour cela procéder à des distinctions afin de préciser les différentes manières dont un sujet se rapporte à ces jugements. Kant propose ainsi de distinguer entre l'opinion, la foi et le savoir.

 

L'opinion est une croyance qui a conscience d'être insuffisante subjectivement aussi bien qu'objectivement. Quand la croyance n'est suffisante que subjectivement, et qu'en même temps, elle est tenue pour objectivement insuffisante, elle s'appelle foi. Enfin celle qui est suffisante objectivement s'appelle savoir.

Kant

Critique de la raison pure

1781

Dans cet extrait, Kant distingue entre trois façons qu'a le sujet de tenir pour vrai quelque chose :
  • L'opinion : dans ce cas, le sujet sait que son jugement est insuffisant objectivement et subjectivement.
  • La foi : dans ce cas, le sujet sait que son jugement est insuffisant objectivement mais suffisant subjectivement.
  • Le savoir : dans ce cas, le sujet sait que son jugement est suffisant objectivement et subjectivement.
 

La différence majeure entre ces trois manières de tenir quelque chose pour vrai passe entre l'objectif et le subjectif : d'un côté des certitudes non justifiées objectivement (l'opinion et la foi), de l'autre une certitude justifiée objectivement et subjectivement (le savoir).

Il est donc possible de tenir pour vrais des jugements de différentes manières, bien que seule la certitude justifiée objectivement et subjectivement puisse prétendre être une connaissance.

 
 

2/ Les différents types de vérités

Mais il est aussi possible de distinguer différents types de vérités, selon ce à quoi elles se rapportent. Leibniz propose ainsi une distinction entre les vérités de raison et les vérités de faits :

  • Dans les "vérités de raison", la vérité se dit d'un énoncé qui est vrai en lui-même, par les relations logiques entre ses termes. On y accède donc par la démonstration. Les vérités de raison sont nécessaires : leur opposé impossible.
  • Dans les "vérités de fait", la vérité se dit d'un énoncé qui est vrai car il correspond au réel qu'il décrit. On y accède donc par l'expérience. Les vérités de faits sont contingentes : leur opposé est possible.
 

Contingent

Est contingent ce qui pourrait ne pas être, ou être autrement. Ce qui est contingent s'oppose à ce qui est nécessaire, c'est-à-dire qui ne peut pas ne pas être.

 

Cette distinction entre vérité de raison et vérité de fait met en évidence un autre mode d'accès à la vérité : l'observation et l'expérience. L'empirisme se fonde sur cette idée que l'expérience est au fondement de toute connaissance. Cette philosophie est théorisée par John Locke dans son Essai sur l'entendement humain (1690). Elle peut être résumée par le principe "il n'existe rien dans l'entendement qui n'ait auparavant été dans les sens".

 

Empirisme

L'empirisme est une doctrine philosophique qui fait de l'expérience sensible l'origine de toute connaissance.

 

L'expérience est le fondement de toutes nos connaissances, et c'est de là qu'elles tirent leur première origine.

Locke

Essais sur l'entendement humain

1690

L'expérience est la première étape de la connaissance. Avant elle, l'esprit est comme une page blanche : il n'y a donc pas de connaissances innées.
 
 

3/ Le vrai comme efficacité

Il serait possible d'envisager une autre façon de rendre compte de la vérité d'un énoncé, en s'intéressant à son utilité. C'est ainsi que, pour le philosophe pragmatique William James, la vérité n'est pas une valeur en soi, mais dépend de la réussite de l'énoncé.

Pour lui, l'efficacité sur le monde de l'action permise par une idée ou discours vrai suffit à prouver leur vérité. Le vrai correspond alors à une adéquation réelle entre la pensée ou le discours et l'action efficace. Est donc vraie l'idée qui rend possible une action efficace.

 
 

B/ La valorisation du vrai : une illusion ?

1/ La position sceptique

La recherche de la vérité constitue une sorte d'exigence, d'idéal que toute entreprise philosophique devrait poursuivre. Néanmoins, est-il si certain qu'il soit possible d'accéder à une vérité certaine, absolue ? Cette recherche de la vérité n'est-elle pas vaine, parce qu'infinie ? C'est en tout cas ce que soutiennent les sceptiques.

 

Scepticisme

Le scepticisme (du grec skepsis, "examen") est une doctrine philosophique selon laquelle la pensée humaine ne peut déterminer aucune vérité avec certitude.

 

Le scepticisme est fondé par Pyrrhon d'Élis au IVe siècle avant J.-C. Son objectif n'est pas de nous faire éviter l'erreur, mais d'obtenir la quiétude de l'âme (ataraxie). En effet, admettre qu'il est impossible d'établir la vérité permet d'éviter les conflits de dogmes et la douleur que l'on peut ressentir en découvrant de l'incohérence dans ses certitudes.

Les sceptiques proposent deux arguments majeurs :

  • Le premier argument affirme que l'homme n'a affaire qu'à des apparences, c'est-à-dire des phénomènes sensibles. Il est donc impossible de connaître les choses elles-mêmes, c'est-à-dire ce qu'elles sont au-delà de l'apparence sous laquelle elles apparaissent. La conséquence est qu'on ne peut affirmer de vérité ou de fausseté concernant les choses, mais seulement décrire la façon dont elles apparaissent ou dont elles nous affectent.
  • Le second argument affirme qu'à chaque thèse il est possible d'opposer une thèse contraire équivalente, sans posséder les moyens de trancher en faveur de l'une ou de l'autre. La conséquence est qu'il est impossible de ne rien affirmer avec certitude.

Le but n'est pas de dire que les choses n'existent pas, ou que l'homme doit abandonner l'action, mais de souligner qu'il ne peut rien affirmer de certain ni de vrai. Le scepticisme invite à la suspension du jugement (apoché) : on ne doit pas se prononcer sur la vérité ou la fausseté des choses.

 
 

2/ Le vrai comme consolation

On peut également penser que la vérité n'est qu'une illusion, inventée dans le but de se consoler. Ce reproche concerne surtout la vérité religieuse : croire en une vérité transcendante (un Dieu ou un esprit) est une manière de se consoler des désillusions causées par la réalité, souvent source de déception. Nietzsche propose ainsi de concevoir la vérité comme une consolation nécessaire. En fait, la vérité ne serait qu'une invention de la métaphysique et de la religion. Les hommes, las de souffrir et incapables d'agir, se réfugieraient dans une croyance rassurante : celle d'un monde immuable permanent, qui correspond au monde des Idées chez Platon ou à "l'autre monde" de la religion. La vérité serait donc une "nécessité vitale".

Nietzsche critique cette vérité qui rassure mais qui maintient en quelque sorte dans l'illusion. Il ne faut pas vouloir la vérité, il faut au contraire assumer l'absence de vérité (car il n'y a ni vérité ni mensonge). Il y a uniquement la vie. Ce n'est pas parce que la vérité "sauve" qu'elle est vraie.

 

C/ Faut-il toujours dire la vérité ?

Il s'agit alors de s'interroger sur le statut du mensonge. Car si la vérité revêt une valeur morale (l'exigence de ne pas occulter ou transformer la vérité, au risque d'abuser de la confiance d'autrui), on peut se demander s'il s'agit d'un devoir inconditionnel.

Le proverbe "toute vérité n'est pas bonne à dire" indique que certaines choses doivent être tues : on ne peut pas dire toujours la vérité, n'importe quand et à n'importe qui. La vérité peut en effet avoir des conséquences importantes : elle peut blesser et faire souffrir. L'occultation de la vérité peut ainsi être plus bénéfique : c'est le cas du domaine du secret d'État.

C'est notamment ce que défend Benjamin Constant, qui s'oppose à Kant au sujet "d'un prétendu droit de mentir par humanité".

 

Le principe moral que dire la vérité est un devoir, s'il était pris d'une manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible. Nous en avons la preuve dans les conséquences directes qu'a tirées de ce premier principe un philosophe allemand, qui va jusqu'à prétendre qu'envers des assassins qui vous demanderaient si votre ami qu'ils poursuivent n'est pas réfugié dans votre maison, le mensonge serait un crime.

Benjamin Constant

Des réactions politiques

1797

Pour Constant, la vérité est certes un devoir, mais celui-ci ne doit pas être appliqué sans considération pour les circonstances particulières dans lesquels on se trouve. Ici, puisqu'il s'agit de nuire à un individu, Constant souligne que l'on n'a pas de devoir de vérité envers la personne qui veut nuire à autrui.
 

Si la vérité est une exigence morale, elle peut parfois exiger qu'on la dévoile avec toutes les précautions nécessaires à la situation particulière dans laquelle on se trouve inséré. Il ne s'agit pas de faire du mensonge une exigence, mais de souligner que la vérité ne doit pas toujours être dévoilée sans intelligence de la situation.

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