L'Étrange Destin de Wangrin de Amadou Hampâté Bâ

Amadou Hampâté Bâ est né en 1900 ou 1901 à Bandiagara, chef-lieu du pays Dogon et ancienne capitale de l’Empire toucouleur du Macina. Enfant de Hampâté Bâ et de Kadidja Pâté Poullo Diallo, il est descendant d’une famille peule noble. Peu avant la mort de son père, il sera adopté par le second époux de sa mère, Tidjani Amadou Ali Thiam, de l’ethnie toucouleur. Il fréquente d’abord l’école coranique de Tierno Bokar, un dignitaire de la confrérie tidjaniyya, avant d’être réquisitionné d’office pour l’école française à Bandiagara puis à Djenné. En 1915, il se sauve pour rejoindre sa mère à Kati où il reprendra ses études.

En 1921, il refuse d’entrer à l’École normale de Gorée. À titre de punition, le gouverneur l’affecte à Ouagadougou, en qualité d’« écrivain temporaire à titre essentiellement précaire et révocable ». De 1922 à 1932, il occupe plusieurs postes dans l’administration coloniale en Haute-Volta (actuel Burkina Faso) puis jusqu’en1942 à Bamako. En 1933, il obtient un congé de six mois qu’il passe auprès de Tierno Bokar, son maître spirituel.

En 1942, il est affecté à l’Institut français d'Afrique noire (IFAN) de Dakar grâce à la bienveillance de son directeur, le professeur Théodore Monod. Il y effectue des enquêtes ethnologiques et recueille les traditions orales. Il se consacrera notamment à une recherche de quinze ans qui le mènera à rédiger l’Empire peul du Macina. En 1951, il obtient une bourse de l’UNESCO lui permettant de se rendre à Paris et de rencontrer les milieux africanistes, notamment Marcel Griaule.

En 1960, à l’indépendance du Mali, il fonde l’Institut des sciences humaines à Bamako et représente son pays à la Conférence générale de l’UNESCO. En 1962, il est élu membre du Conseil exécutif de l’UNESCO. En 1966, il participe à l’élaboration d’un système unifié pour la transcription des langues africaines. En 1970, son mandat à l’UNESCO prend fin.

 

L'étrange destin de Wangrin
de Hampaté Bâ
Aux Editions 10/18
Un classique incontestable et indispensable.

 

Wangrin est un interprète de l’administration coloniale dans les années 1910.

Il est issu de « l'école des otages » ainsi nommée par la-dite administration car on y envoyait de force tous les fils de chefs pour leur donner un enseignement de qualité et créer ainsi une élite moderne tout en calmant les éventuelles ardeurs contestataires.

À l'époque, le rôle de l'interprète était majeur. Muni d'un « certificat d'études primaires indigènes » et maîtrisant plusieurs langues africaines en dehors du français, Wangrin sut s'attirer la confiance du commandant de région et joua un rôle important en lui servant de conseiller et de secrétaire.

Ce poste privilégié permit à Wangrin de gagner de l'argent – beaucoup d’argent – au détriment de l’administration coloniale et des commerçants locaux. Il faut dire que Wangrin choisit de se placer sous le signe du dieu « Gongoloma Soké », dieu bizarre et ambigu car « à la fois bon et mauvais, sage et libertin ».

De poste en poste, d'entourloupes en « tours carabinés », Wangrin finit par acquérir au faite de sa gloire, une vraie fortune qu'il utilisa aussi largement – et discrètement comme il se doit – à aider les pauvres et les nécessiteux.

Robin des Bois Toucouleur, le livre narre avec truculence les ruses de cet homme véritablement noble, particulièrement intelligent et fin connaisseur des ambitions humaines ; ce qui ne l’empêchera pas de finir son existence spolié et ruiné.

On pourrait penser qu’il s’agit là d’un conte contemporain sur l’ambition, sur l’administration coloniale, sur les pratiques religieuses au Sahel au début du XXe siècle mêlées d'islam et de fétichisme ou d'un portrait d’une vraie personnalité, d’une espèce de Rastignac africain en beaucoup plus sympathique.

En fait, ce livre est bien plus que cela : Wangrin a réellement existé et ce livre est la narration de sa vie écrite à la demande expresse de l’intéressé.

Ce livre nous plonge loin dans l’espace et le temps à des moments qui font aujourd’hui partie de notre histoire. Guidé par ce personnage attachant, nous abordons des rivages qui seraient totalement oubliés sans cet ouvrage qui fourmille de détails sur les modes de vie, les croyances, les différentes composantes de la société africaine.

Reflet d'une époque, cette biographie picaresque fait date et se dévore en offrant d'agréables moments de lecture.

 

Hampaté Bâ relate sa rencontre avec Wangrin.

« C'est alors qu'un soir il me dit : "Mon petit Amkoullel, autrefois tu savais très bien conter. Aujourd’hui, tu sais écrire. Je vais donc te raconter ma vie. Tu la prendras en notes et plus tard, lorsque je ne serai plus de ce monde, tu en feras un livre qui pourra à la fois divertir les hommes et
leur servir d’enseignement. Mais je te demande expressément de ne pas mentionner mon vrai nom, afin que ma famille n’en tire ni sentiment de supériorité, ni sentiment d'infériorité, car il y a les deux dans ma vie. Tu utiliseras l’un de mes noms d’emprunt, celui que j’affectionne le plus : Wangrin."  »

Et c’est à partir de ce moment que l’auteur pris note du récit de Wangrin dicté dans un Bambara « de grande beauté ».

Après sa mort, son grio préféré lui narra sa fin tragique, comment il perdit son fétiche protecteur, tua accidentellement un boa et comment se fit sa rencontre fatale avec la "tourterelle au cou à demi cerclé de noir".

« La fortune, dit un adage, est comme un saignement de nez. Cela vient sans raison, et s’arrête tout-à-coup, sans qu’on sache pourquoi... ».

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