Histoire de la littérature française - Le XIXe siècle

Tendances générales:

A partir de la Révolution de 1789, un siècle durant, des bouleversements profonds, générateurs de crises, de révolutions et de coups d'État (1789, 1848, 1851, 1871), remodèlent la société : fin des privilèges d'Ancien Régime, accession de la bourgeoisie au pouvoir, naissance du prolétariat ouvrier. Ils transforment les pratiques politiques et l'économie. Les modifications sociales suscitent des modifications idéologiques : la domination de la noblesse est remplacée par celle des notables, l'idéologie aristocratique n'est plus qu'une nostalgie, remplacée par une idéologie bourgeoise fondée sur la croyance au progrès, au profit, à la morale.

Extension massive de l'instruction

Le XIXe siècle est le temps de l'alphabétisation généralisée des Français (création des lycées par l'Empire, réglementation scolaires de 1833 et 1849, loi Jules Ferry de 1883 qui institue l'École primaire, laïque, gratuite et obligatoire).

L'éducation dispensée dans les lycées privilégie l'enseignement littéraire; mais le XIXe voit une expansion générale de la notion même de sciences. Toutes les disciplines progressent et chaque branche du savoir tend à se constituer en une science autonome. Une connaissance de type encyclopédique n'est plus possible pour un individu. Le développement des sciences exactes influe sur la pensée philosophique, où les systèmes matérialistes et scientifiques se renforcent.

Nouveau public, nouveaux moyens de diffusion

L'institution littéraire va s'adapter dans une société nouvelle à un public grandissant alors qu'elle s'est écrite, jusque là, dans et pour un milieu de privilégiés. Ce nouveau public, néanmoins, n'est pas sans culture mais n'a ni les loisirs, ni les moyens financiers, ni la formation poussée qui permettent un accès direct à la culture savante.

Ses besoins seront comblés par une diffusion massive, notamment de romans de grande série, et par la presse qui devient un moyen culturel incomparable. Son emprise sur le public peut se voir, par exemple, au fait que les penseurs ou homme politiques issus du journalisme sont de plus en plus nombreux au cours du siècle.

En 1835, Émile de Girardin crée La Presse, premier journal à grande diffusion à un prix très modeste; il y fait une part à la littérature avec le roman feuilleton. C'est par le journal que des romanciers aussi variés et aussi prestigieux que Balzac, Dumas, Sue ou Flaubert diffusent nombre de leurs œuvres. A partir de 1870 les innovations techniques permettent un tirage massif (300.000 ex.), les revues et les magazines se multiplient en direction de publics spécifiques.

Après avoir favorisé le roman réaliste, le journal pousse à une séparation des fonctions: l'information sur le monde devient le fait proprement journalistique, tandis que la partie littéraire du journal donne dans la fiction d'évasion et l'idéalisation stéréotypée. L'authentique création littéraire n'y a alors plus sa place.

Un nouveau statut pour l'écrivain.

Avec l'Ancien Régime disparaît le mécénat : en conquérant la reconnaissance des droits d'auteur et la possibilité de vivre de leur plume, les écrivains ne sont plus contraints de confondre leur pensée et les aspirations de la classe dominante. Mais ils tombent alors dans la nécessité de traduire les aspirations collectives, ou de se rattacher à un public particulier, et se soumettent par là aux lois du marché commercial qui les cote comme des valeurs en bourse. Ce système consacre le triomphe du roman, et pousse à la marginalisation les poètes les moins adaptables.

La place des écrivains dans la société est néanmoins loin d'être négligeable : qu'ils soient considérés comme des faiseurs d'opinion, des leaders politiques (Lamartine), voire des symboles vivants comme Hugo, une collectivité se reconnaît en eux. L'école d'ailleurs contribue à forger dans les mentalités l'image de l'"écrivain grand homme".

Une époque difficile à vivre.

La situation des écrivains et des artistes est cependant paradoxale : ils sont admirés, mais en même temps tenus pour suspects par une bourgeoisie qui recherche d'abord le divertissement et l'ordre moral. Ainsi, lorsqu'ils prennent la défense d'idéaux politiques ou humanitaires, les auteurs constatent le clivage entre leurs aspirations et la réalité observée, leur désir d'action efficace et l'impuissance à laquelle ils sont réduits, la générosité individuelle et l'égoïsme des classes au pouvoir. Cette contradiction est violemment ressentie par ceux qui refusent de se conformer à l'idéologie bourgeoise établie, et leurs œuvres s'imprègnent de pessimisme. Ils ont le sentiment d'être incompris, se sentent isolés, et tendent à former entre eux un milieu clos. Ils privilégient l'expression de leur angoisse devant la vie, ce qui constitue un lien profond entre des mouvements divers et complexes, que leurs principes esthétiques semblent séparer.

Ce mal de vivre ou mal du siècle, en germe dans le rousseauisme, trouve sa pleine expansion chez les Romantiques (Musset, Nerval), se prolonge avec le spleen de Baudelaire et, à la fin du siècle, dans les attitudes décadentes ou symbolistes. Même les récits réalistes en portent l'empreinte.

Mal du siècle : toute une génération, déçue dans ses rêves de grandeur après la chute de l'Empire, se reconnaît dans le René de Chateaubriand. Le mal de René deviendra le mal du siècle. L'âme, avide d'infini, assoiffée d'absolu, souffre des limites que lui impose la destinée terrestre. Le coeur est empli de passions violentes que rien sur cette terre ne saurait combler. C'est le "vague des passions", tel que le décrit Chateaubriand : "L'imagination est riche, abondante et merveilleuse, l'existence pauvre, sèche, désenchantée. On habite avec un coeur plein un monde vide." L'humeur est sombre et cultive volontiers la mélancolie.POTELET

Ainsi le XIXe siècle est marqué par des contradictions qui s'affrontent parfois dans la conscience d'un même individu. On y a le sentiment de vivre une époque de bouleversements sociaux, riche d'espoir en un progrès collectif (technique, économique, politique...). Mais les déceptions et l'ennui devant la platitude de la réalité quotidienne poussent les artistes et une partie du public à se tourner vers le passé historique ou individuel, l'idéal, la religion ou les tréfonds du psychisme. Cette quête des valeurs où l'individualité puisse trouver son épanouissement et ces inquiétudes sont perceptibles tout au long du siècle et se feront encore sentir au XXe.

 

Goût pour l'antique et genèse du Romantisme (1780-1820)

1793

Condorcet

Tableau historique des progrès de l'esprit humain

1802-1809

Chateaubriand

Le Génie du Christianisme, René, Les Martyrs, Atala, Mémoires d'Outre-Tombe

1807

Mme de Staël

Corinne

1810

Mme de Staël

De l'Allemagne

1816

B. Constant

Adolphe

La Révolution qui éclate en 1789 après dix ans de crise économique et politique est largement liée du point de vue idéologique au mouvement philosophique et à un versant du Rousseauisme (instinct guidé par la raison, vertu, déisme, bonheur, justice), qui trouve son aboutissement dans La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Tout en affirmant le succès des vues et aspirations de la bourgeoisie, elle porte à son apogée une expression artistique nommée de nos jours néo-classicisme. L'art est alors marqué par le goût du beau à l'antique, et la recherche d'une plus grande mesure et d'une simplification tant dans la peinture et l'architecture que dans le costume féminin. La Grèce et Rome sont à la mode, mais on veut affirmer, à travers ces formes du passé, des valeurs très modernes dont on croit trouver l'origine dans l'Antiquité : simplicité, héroïsme, État, grandeur, Patrie. La littérature elle-même est peu créatrice : André Chénier, guillotiné en 1794, est le seul poète illustre de cette période. Mais les discours des grands orateurs de la Révolution (Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just), nourris de rhétorique et d'histoire romaine, sont une forme où le didactisme politique retrouve violence et passion. Parallèlement naissent des journaux plus passionnés encore, et plus populaires comme L'Ami du Peuple de Marat ou Le Père Duchesne de Hébert.

L'Empire (1804-1815) hérite du mouvement néo-classique où il trouve un appui et les guerres napoléoniennes le répandent en Europe avec les idées libérales du XVIIIe.

Le néo-classicisme s'est allié temporairement à ce qui était, en fait, la nouveauté radicale de la fin du XVIIIe : l'esthétique du sublime héritée de Diderot, et l'autre versant du rousseauisme: le sentiment, l'inquiétude, l'étude du Moi. L'influence allemande (Sturm und Drang: Goethe, Schiller) et anglaise, puis le retour en force du catholicisme sous l'Empire, enfin une réaction violente contre tout ce qui rappelle la Révolution, vont aider à cultiver et à transformer en esthétique la violence, le "vague des passions", le surnaturel. Avant le triomphe du Romantisme, diverses recherches en ce sens apparaissent.

* La littérature s'imprègne de violence (Sade), de mélodrame souvent adapté de romans, en particulier du Roman Noir (Lewis, Mary Shelley).

* Le retour aux valeurs nationales et religieuses se traduit par la redécouverte des littératures nationales anciennes surtout celtiques et des mythologies. Par elles s'amorce aussi un retour à l'épopée et un engouement pour toutes les sources nordiques. De nombreuses formes de religiosité se développent assortie quelquefois de mystère et de mysticisme (Swedenborg).

* Une réflexion sur les forces historiques met en valeur l'étude des groupes humains (Volney, Condorcet, Bonald, de Maistre).

* L'expression du mal de vivre est particulièrement nette chez Senancour, Mme de Staël, B. Constant et Chateaubriand.

 

Le mouvement romantique (1820-1850)

Le mot "Romantisme" indique une conception de la vie digne du roman, faisant de l'homme un héros dont la sensibilité règne sur le monde. Trait important des mentalités à cette époque, affectant toutes les formes de l'expression artistique, il affirme la primauté de l'émotion sur l'intellectualité, et la profonde poésie de la vie. Il porte son attention sur l'individu (le Moi), recherche le dépaysement spatial (goût pour l'exotisme), temporel (goût pour l'histoire), social (intérêt pour le peuple, que ces auteurs connaissent mal d'ailleurs et mythifient souvent), religieux (goût pour le mysticisme, pour le sacré qui offrent une alternative à la médiocrité sociale).

Romantisme : mouvement littéraire et artistique qui s'est étendu à toute l'Europe à partir de la fin du XVIIIe siècle. Il atteint son apogée en France dans les années 1810-1835 et se caractérise par l'apparition d'une sensibilité nouvelle, favorisée après 1815 par le déséquilibre que la chute de l'Empire provoqua dans l'âme de la jeunesse. Les consciences désenchantées ont le sentiment de ne pas avoir leur place en ce monde : tantôt, se complaisant dans la tristesse, le rêve ou la solitude, elles épanchent leur mélancolie; tantôt, animée par l'énergie de la révolte ou de l'ambition, elles s'engagent dans l'action. Cet état de sensibilité s'accompagne d'un profond renouvellement des formes littéraires. Le Romantisme se dégage des contraintes imposées par l'esthétique classique : au théâtre, suppression de la règle des unités, libération du langage, mélange des genres; en poésie, explosion du lyrisme*; quant au roman, il devient le cadre de l'expression personnelle et un instrument d'exploration du monde extérieur. Le Romantisme s'épuise au milieu du siècle : le triomphe de l'esprit bourgeois (sens des réalités concrètes, importance donnée à l'argent) apporte aux débordements lyriques de sévères limites. Les nouvelles générations littéraires sont en effet "positives", privilégiant le réalisme et le naturalisme. POTELET

 

Lyrisme : à l'origine, forme de poésie destinée à être chantée avec accompagnement de la lyre. Par la suite, est appelée lyrique toute poésie qui exprime l'émotion et les sentiments de l'écrivain : joies ou déceptions amoureuses, nostalgie du souvenir et d'un passé trop vite enfui, beauté apaisante de la nature dans laquelle on se réfugie, douleur d'avoir perdu un être cher, méditation sur le destin de l'homme, élan religieux, expression d'un engagement politique. POTELET
 

1820

A. de Lamartine

Méditations poétiques

1822

V. Hugo

Odes

 

A. de Vigny

Poèmes

1822-44

Ch. Nodier

Contes

1830

V. Hugo

Hernani

1831

V. Hugo

Notre-Dame de Paris

1833-46

Michelet

Histoire de France

1835

A. de Musset

Nuits, Lorenzaccio

 

A. de Vigny

Chatterton

1851

G. de Nerval

Voyage en Orient

1854

G. de Nerval

Les Filles du Feu, Aurélia

1856

V. Hugo

Les Contemplations

1859-83

V. Hugo

La Légende des siècles

1862

V. Hugo

Les Misérables

Le Romantisme est un mouvement de jeunes gens qui, sauf exception, n'ont pas connu l'Ancien Régime. Certains vivent de leur plume, d'autres sont fonctionnaires. Le Romantisme tient ses propres salons autour de ses chefs (Nodier, Hugo).

Hugo obtient une audience populaire et durable, c'est une exception.

Au libéralisme de la Monarchie de Juillet, les Romantiques opposent la légitimité du peuple et glissent vers la gauche : idéalistes humanitaires et populaires, ils sont sensibles au malaise social et aux révolutions européennes. L'échec de la Révolution de 1848 signifie la fin de ces espérances. Lamartine et Hugo sont les seuls à s'être engagés énergiquement dans la politique.

Influencés par les auteurs allemands (Novalis, Hoffmann, Schiller) et anglais (Byron, Shelley), les Romantiques se font une idée très haute de l'art et du génie. Le "je " des textes est de plus en plus souvent autobiographique. De plus en plus d'auteurs refusent les règles, les formes et les convenances classiques et désirent transposer dans l'art ce qui est dans la nature même : le laid, l'horrible. Le vocabulaire s'élargit, les jeux de sonorités prennent de l'importance en poésie. La sensibilité fonde une esthétique (Delacroix, Berlioz, Chopin, Lizt).

Les formes littéraires majeures sont le théâtre où les pièces romantiques côtoient les classiques, et la poésie. La littérature fantastique éclôt.

 

Le Romantisme, quatre tendances

* Les utopies sociales.

La pensée politique développe un socialisme utopique qui prône le progrès et la rénovation de l'humanité (Saint-Simon, Fourier, Proudhon). Assez proche, le catholicisme social (Lamennais).

* Le Romantisme noir ou gothique

Répertoire de situations violentes et stéréotypées. Dans ces œuvres souvent brèves, la morbidité et l'inquiétude sont exacerbées. Tous les auteurs cèdent à sa fascination (Hugo, Balzac, Gautier). Citons plus particulièrement Ch. Nodier et Aloysius Bertrand, dont le Gaspard de la nuit (1842) ouvre la voie au poème en prose.

* Le roman historique

Les romanciers empruntent au cadre historique contemporain ou passé. Le succès de l'écossais Walter Scott sera continué en France par Alexandre Dumas avec Les Trois Mousquetaires (1844).

* Le roman-feuilleton

Ce sont les romans qui ont le plus de succès, ils construisent un univers manichéen où le lecteur se retrouve facilement malgré des intrigues foisonnantes: méchants bruns, beaux et cruels, aussi solitaires que leurs ennemis, sauveurs magnanimes et charitables, héroïnes blondes et pures. Sous ces signes simples, le message est véhément et les sujets abordés graves : villes pourries par la misère sociale qui engendre le crime, abandon moral et matériel où se débattent l'enfance et la vieillesse, brutalité des moeurs, asservissement de la femme. Le roman-feuilleton propose des remèdes: charité, justice, amour, révolution sociale, voire socialisme, en se montrant confiant dans la solidarité et le progrès.

1842

E. Sue

Les Mystères de Paris

1844

P. Féval

Les Mystères de Londres

1859

Ponson du Terrail

Rocambole

 

Réalismes et Naturalisme (1830-1900)

Par le roman, le XIXe siècle tente une description encyclopédique du réel. Lier écriture et réalité montre l'importance nouvelle accordée aux forces matérielles : leur analyse paraît essentielle pour atteindre la vérité psychologique et comprendre l'être social. Désormais les fictions ont des cadres spatiaux et temporels proches de ceux du lecteur (ou historiquement exacts) et se déroulent dans tous les milieux sociaux. Ces auteurs estiment qu'aucune exclusion esthétique ou morale ne doit empêcher de traiter un sujet vrai. L'école naturaliste, après 1870, ne fera qu'ajouter des visées scientifiques à ces principes, et affirmer sa croyance en une littérature capable d'apporter une connaissance positive du réel.

1830

Stendhal

Le Rouge et le Noir

1834

H. de Balzac

Le Père Goriot

1842

H. de Balzac

La Comédie humaine

1857

G. Flaubert

Madame Bovary

1865

E. & J. de Goncourt

Germinie Lacerteux

1869

G. Flaubert

L'Education sentimentale

1871-93

E. Zola

Les Rougon-Macquart

1873

A. Daudet

Contes du Lundi

1880-90

G. de Maupassant

contes, nouvelles et romans (Une Vie )

1881

J. Vallès

L'Enfant

1894

J. Renard

Poil de Carotte

1900

O. Mirbeau

Le Journal d'une femme de chambre

 

Positivisme : courant de pensée dominé par la personnalité d'Auguste Comte selon lequel la seule connaissance possible est fondée sur l'expérience et l'étude des faits. Le positivisme a exercé une importante influence dans la seconde moitié du XIXe siècle, à la fois dans le roman (réalisme et naturalisme) et la poésie (Parnasse).

Réalisme : à partir du Second Empire (1852), certains écrivains (notamment Flaubert et Maupassant), par réaction contre le Romantisme, fondent leur esthétique sur une observation et une représentation minutieuse de la réalité. Le Réalisme se caractérise par la recherche des histoires vraies, par une approche juste et précise des personnages et du milieu social, enfin par une écriture impersonnelle et objective.

Naturalisme: mouvement littéraire de la fin du XIXe siècle dominé par la personnalité d'Emile Zola qui se propose d'appliquer à la littérature une méthode d'expérimentation scientifique. Le romancier naturaliste est convaincu que les comportements humains, les traits de caractère, les sentiments sont conditionnés par l'hérédité, le milieu social et l'état physiologique du corps. Il prétend laisser agir ses personnages, selon des lois mécaniques : ainsi, telle passion, agissant dans tel milieu et dans telles circonstances, produira tel effet.

POTELET

 

Les auteurs bourgeois vivent maintenant de leur plume. Le mouvement réaliste supplante progressivement le romantisme dans la fabrication d'auteurs vedettes ou de points de référence pour la conscience politique (Affaire Dreyfus).

Le livre est de plus en plus une marchandise, le roman est celle qui se diffuse le plus, faisant le succès de grandes maisons d'édition (Hachette, Larousse).

Comme les romantiques, certains réalistes évoluent vers le progressisme. Faut-il parler de la misère et de ses causes? Évoquer tous les aspects des moeurs, même ce qui choque les convenances? Quel jugement exprimer? Le choix des sujets sert à soutenir une thèse et souvent à accuser les structures sociales au nom des opprimés ou de l'individu. Les auteurs sont fascinés par les forces de progrès (capitalisme : Balzac, Zola) et par la décomposition des classes dirigeantes dont ils dénoncent l'égoïsme et l'hypocrisie (Flaubert, Maupassant). Soucieux au départ de représenter objectivement le réel, ils veulent ensuite, sous l'influence des doctrines économiques et politiques, mettre au jour les mécanismes sociaux et les rapports de classe. Les écrivains des années 1830 associent le réalisme du cadre au romantisme des caractères (Stendhal, Balzac). Pour l'écrivain naturaliste, les passions humaines et les moeurs sont déterminées par le milieu social et l'hérédité, et leur description minutieuse est une contribution à l'analyse scientifique.

 

Idéologie bourgeoise et sécession des artistes(1850-80)

L'échec de la Révolution de 1848, puis le coup d'État de Napoléon III (1851) mettent fin au rêve romantique de transformer la société en une République généreuse, plus égalitaire, guidée par ses intellectuels.

L'idéologie bourgeoise reprend volontiers des thèmes du XVIIIe siècle libéral, ceux de Voltaire surtout : confiance dans le progrès, liberté de pensée, anticléricalisme. Elle s'exprime dans la philosophie positive (Auguste Comte, Renan et Taine). Son rationalisme très modéré prône comme valeurs la science, l'esprit, le bon sens, mais en les associant à un souci d'ordre moral et social qui fait accepter l'Église, cette force de tradition, et refuser toute évolution dès qu'il s'agit de questions sociales. Les critiques littéraires font l'histoire de la littérature en évaluant les "grands classiques" (Nisard, Sainte-Beuve). Une grande partie de la production s'oriente vers un réalisme de bon ton (A. Dumas fils). Le divertissement brillant (Offenbach, Labiche) côtoie une littérature de large consommation. Le "succès du siècle" c'est Le Maître des Forges (1882) de Georges Ohnet (250 éditions).

L'isolement des artistes s'accentue face à l'uniformisation triomphante que l'École contribue à ancrer dans les consciences. Contre le conformisme, contre l'engagement politique et même le réalisme qui soumet l'art au social, l'Art pour l'Artdéfend l'idée d'une aristocratie de l'esprit : on n'écrit plus que pour ses égaux, le groupe producteur devient son propre consommateur privilégié. L'artiste se replie sur son milieu et sa solitude et refuse une place dans un monde jugé répugnant. On affirme la valeur des techniques d'écriture contraignantes; l'auteur est créateur non par son inspiration, mais par son art d'utilisation du langage, qui crée alors un objet autonome original. C'est, dans l'art littéraire, une révolution. Le monde artiste glisse alors progressivement vers la marginalité. Le premier volume du Parnasse contemporain (1866) rassemble notamment des poèmes de T. Gautier, Banville, Leconte de Lisle, Coppée, Sully-Prudhomme, Baudelaire, Verlaine et Mallarmé. Cette école (les Parnassiens ) finira par constituer à son tour une forme de l'art officiel.

Parnasse : au milieu du siècle, se constitue autour de Leconte de Lisle un groupe de poètes dits "parnassiens", unis par le besoin de réagir contre les épanchements romantiques, qu'ils considèrent excessifs. Ils prônent une poésie descriptive, aux lignes pures, à la plastique impeccable et dont la seule raison d'être est la beauté (théorie de l'art pour l'art). POTELET

D'autres œuvres, en revanche, mettent en jeu une esthétique neuve, explorent l'imaginaire et proposent des visions du monde irrecevables par l'idéologie officielle; ces poètes maudits dont certains passent alors inaperçus, ont surtout un succès de scandale, mais ils créent les moyens d'une mutation radicale de la poésie.

CH. BAUDELAIRE, dont le recueil Les Fleurs du Mal (1857) est condamné pour immoralité, fait de la poésie une quête de soi, par les correspondances qu'elle dévoile entre le monde sensible et des vérités cachées. Dandysme, sensualité, angoisse du mal se retrouvent aussi dans ses Petits poèmes en prose (1865).

P. VERLAINE Poèmes Saturniens (1866), Sagesse (1880), Jadis et Naguère (1884) donne au langage poétique une musicalité neuve : recherches approfondies qui tentent à la fois de traduire et de compenser une conscience amère de la fragilité du moi et du monde.

A. RIMBAUD Une saison en enfer (1873), Illuminations (1872-73) progresse vers la connaissance des pouvoirs cachés du langage, mais rompt très jeune avec la pratique de la poésie.

LAUTREAMONT Les Chants du Maldoror (1868).

Des personnalités originales, quoique moins puissantes : Cros, Corbière, Nouveau visent des objectifs semblables. Cet état d'esprit affecte aussi des romanciers comme Flaubert, Maupassant ou Barbey d'Aurevilly qui affirment leur rupture avec la société du temps.

 

La crise des valeurs morales et littéraires (1870-1914)

Après la défaite de la Commune, la République est rétablie mais elle est peu conforme aux espoirs de beaucoup de ceux qui l'attendaient; il s'ensuit une crise des valeurs et un sentiment de décadence révélé par les remous de l'Affaire Dreyfus. L'idéologie bourgeoise ne se renouvelle plus, sinon par le colonialisme et la nationalisme.

L'écrivain et la société

Les écrivains sont mal à l'aise dans la société du temps. La contestation ou le compromis sont les deux voies possibles pour ceux qui mettent l'écriture au service de convictions politiques explicites, en se donnant la mission de décrire les luttes du monde social contemporain : naissance du mouvement ouvrier, de l'anarchisme, du socialisme (Jaurès).

1886

J. Vallès

L'insurgé

1893

A. France

Les Opinions de Jérôme Coignard

1897

M. Barrès

Les Déracinés

1900

Ch. Péguy

Les Cahiers de la Quinzaine

1915

R. Rolland

Au-dessus de la mêlée

Anatole France se montrera plutôt partisan du compromis. Même des auteurs plus réservés à l'égard des questions politiques affirment malgré tout le rôle de l'écrivain comme celui d'une conscience qui doit éclairer ses contemporains (R. Rolland, Ch. Péguy).

Positivisme et irrationalisme

Alors même que le positivisme donne ses productions les plus achevées, la contestation du positivisme est souvent l'œuvre de la science elle-même. Ruine du scientisme (Einstein, Freud, Bergson). On perd un peu de la confiance absolue que l'on avait pu placer dans la stabilité et la sûreté des découvertes scientifiques. On assiste alors à un mouvement général de retour au catholicisme (Huysmans, Claudel, Péguy, Maritain). Les para-religions et le syncrétisme passionnent les milieux intellectuels. L'influence du roman russe (Tolstoï, Dostoïevsky), de la pensée allemande (Nietzche) et du théâtre scandinave (Ibsen, Strindberg) renforce l'héritage romantique.

1883

Villiers de L'Isle-Adam

Contes cruels

1884

C. Huysmans

A Rebours

1886

L. Bloy

Le Désespéré

1887

S. Mallarmé

Poésies complètes

1890

Villiers de L'Isle-Adam

Axel

1892

M. Maeterlinck

Pelléas et Mélisande

1895

A. Gide

Les Nourritures terrestres

Les spéculations sur les pouvoirs du langage et des symboles comme révélateurs de vérités cachées inspirent une poésie de plus en plus difficile, comme celle des groupes appelés décadents puis symbolistes : Moréas, Corbière, Laforgue et surout Mallarmé. Huysmans et Bloy passent du naturalisme au symbolisme. Cela marque dans les jeunes générations un désir de rompre avec une société trop rigide, c'est ce qu'expriment les premières œuvres de Gide qui devait avoir une grande influence plusieurs années plus tard. En Belgique le mouvement La Jeune Belgique en est proche (C. Lemonnier, G. Rodenbach, E. Verhaeren, Ch. Van Lerberghe, M. Elskamp, M. Maeterlinck).

Symbolisme : pendant la seconde moitié du XIXe siècle, en réaction contre les descriptions parnassiennes qui dévoilent trop clairement le monde, se dessine à la suite de Baudelaire et autour de Verlaine, Rimbaud et Mallarmé, un idéal poétique célébrant le rêve, le mystère et le sens caché des choses : il ne s'agit plus pour le poète de décrire le réel, car nommer un objet, c'est l'appauvrir, mais de le suggérer au moyen du symbole qui établit des correspondances secrètes entre le visible et l'invisible. Ainsi, un paysage peut-il refléter un état d'âme (l'automne évoque la tristesse, la pluie, les larmes, etc.). Le poète symboliste cultive la musicalité pour mieux parler à l'âme et atteindre la sensibilité du lecteur. POTELET

 

Des formes nouvelles

1885

J. Laforgue

Les complaintes

1893

E. Verhaeren

Les campagnes hallucinées

1896

A. Jarry

Ubu Roi

1913

B. Cendrars

La prose du Transsibérien

1913

G. Apollinaire

Alcools

1918

G. Apollinaire

Calligrammes

Rejetant avec les valeurs bourgeoises tous les principes esthétiques du passé, des artistes élaborent des doctrines où l'art devient sa propre finalité (cfr. l'Art pour l'Art). Ces auteurs considèrent que le langage artistique peut aussi permettre une nouvelle perception du monde. La découverte des arts non-occidentaux montre qu'on peut inventer des structures et des formes autres que celles sur lesquelles a vécu l'Occident.

Ambiguïtés de la "Belle Époque"

Pour une large partie du public, les inquiétudes et recherches littéraires sont ignorées ou rejetéees, de même d'ailleurs que les revendications politiques souvent violentes de l'anarchisme, du socialisme ou des mouvements syndicalistes. A l'aube du XXe siècle, la société bourgeoise vit sa "Belle Époque" et célèbre la gloire d'écrivains moralistes, garants de l'ordre (Bourget), savoure un théâtre de stéréotypes et de divertissement brillant (E. Rostand), et l'humour plus ou moins grinçant d'auteurs tenus pour des amuseurs (G. Feydeau, A. Allais, G. Courteline). Ce sont aussi les stéréotypes intimistes de P. Géraldy qui ont les faveurs du public (Toi et Moi, 1913), est vendu à un million d'exemplaires.

 

Culture populaire (1830-1920)

A partir du XIXe siècle, le développement de l'urbanisme entraîne une littérature populaire qui s'adresse au public coupé de la civilisation rurale traditionnelle des petits-bourgeois et des ouvriers sachant lire mais peu instruits.

* Jusque 1860, cette littérature comprend surtout la chanson (Béranger), elle supplante petit à petit la littérature de colportage traquée par la censure officielle.

* De 1860 à 1914, la multiplication des journaux permet d'atteindre plusieurs types de public. L'image devient une composante usuelle de la culture, la photographie devient plus familière. La littérature qui se développe est une littérature d'évasion (Delly; G. Leroux et les Rouletabille; M. Leblanc et les Arsène Lupin; Allain & Souvestre, Fantômas)

Sous leur apparente frivolité, la culture et surtout la littérature sont choses politiques, la chanson, en particulier, se révèle efficace moyen de propagande (J.-B. Clément, le Temps des Cerises; E. Pottier, L'Internationale(1871)...

On retrouve dans la littérature populaire les doctrines politiques en expansion : colonialisme (P. Loti); nationalisme (Erckmann-Châtrian, Déroulède). La littérature populaire reste donc destinée à adapter ses lecteurs à la culture dominante en leur délayant les modèles de l'idéologie bourgeoise en y ajoutant, par prudence, une forte dose de moralisme, de pathétisme, et encourage plus la docilité et le passéisme que la promotion sociale et le goût des revendications.

On retrouve ces préoccupations dans la littérature pour enfants qui encourage la docilité et la soumission (Comtesse de Ségur).

Celle qui est destinée aux adolescents (J. Verne, Cinq semaines en ballon [1865]) incite davantage à la découverte du monde, le voyage est son thème dominant et elle intègre volontiers des éléments de découvertes scientifiques récentes en se tournant soit vers la science-fiction, soit vers le passé lointain (Rosny, La Guerre du feu, 1911).

En voulant donner à tous la même instruction de base, l'école laïque, gratuite et obligatoire (loi J. Ferry de 1883) va effacer les spécificités locales et régionales. Les cultures locales vont régresser malgré des mouvements de résistance (Bretagne, Provence). Les cultures rurales traditionnelles seront remplacées par la lecture de la bonne presse : Veillée des Chaumières, Le Pèlerin.

Ce que vont apprendre des millions de Français, c'est par exemple, le plus célèbre des livres de classe : Le Tour de la France par deux enfants de Bruno (1877). Dans un tableau complet des provinces françaises, on célèbre le sentiment national, la famille, la terre et la pureté campagnarde mais on approuve en même temps le progrès industriel, l'effort individuel, la hiérarchie et l'obéissance sociales.

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