Les conditions essentielles du développement
Le développement est devenu une réalité incontournable de l’intégration économique à tous les niveaux. L’adhésion de la majorité des États à la notion du développement renforce la nécessité et la légitimité d’agir rigoureusement en matière d’environnement.
La perspective de l’intégration économique n'est pas sans poser des défis de taille en matière de gestion de l'environnement et des ressources naturelles. La mise en œuvre du développement suppose d'abord le respect de conditions - démocratie, autonomie, équité, interdépendance, imputabilité et responsabilisation - et de principes fondamentaux - intégration de l'environnement et de l'économie; préservation de la diversité biologique et conservation des ressources naturelles; précaution, prévention et évaluation; concertation, partenariat et participation; et éducation, formation et sensibilisation.
LE DÉVELOPPEMENT : CONDITIONS ET
PRINCIPES FONDAMENTAUX
- Rappel de la notion de développement
La notion de développement sous-tend, au départ, l'intégration des questions environnementales aux impératifs du développement économique afin de répondre aux besoins immédiats des populations sans pour autant mettre en péril les aspirations des générations futures. Son acception s'est toutefois élargie pour intégrer les idées d'équité et d'interdépendance, non seulement entre les générations, mais entre les pays et les peuples de la Terre. De même, cette notion d'interdépendance s'applique aux environnements social, culturel, économique et naturel, dont le développement harmonieux est essentiel au bien-être de l'humanité et à la nature.
La mise en œuvre du développement ne peut que s'inscrire dans une perspective à long terme. Cependant, son application ne saurait se faire en fonction d'une planification réactive, mais plutôt selon les principes d'une planification et d'une gestion proactive et stratégique. Il est donc indispensable de se doter, à tous les niveaux de participation et de décision, de principes clairs assortis d'objectifs et de mesures précis qui s’inscrivent dans une démarche à long terme et tiennent compte de la capacité d'agir et de payer des pays.
- Les conditions fondamentales du développement
Bien que le développement vise l'intégration des préoccupations sociales et environnementales aux décisions à caractère économique, sa mise en œuvre nécessite l'adhésion à différents principes généraux que nous pouvons assimiler à des conditions fondamentales de sa réussite. Celles-ci sont ni plus ni moins que les grands principes qui règlent la vie en société et les relations entre les États et les nations. Au nombre de cinq, elles intègrent plusieurs concepts sous-jacents, eux aussi jugés essentiels à la réalisation du développement.
Même s'il ne faut pas absolument lier développement et démocratie, il n'en demeure pas moins que l'idée de développement peut difficilement être véhiculée et appliquée en l'absence de démocratie véritable. En effet, il apparaît difficile de concevoir comment assurer les besoins présents dans une perspective d'équité et sans compromettre l'avenir des générations futures si, en toile de fond, on ne dispose pas des mécanismes et des institutions permettant la participation de tous. Pour paraphraser la Commission Brundtland, qui a si bien lancé la réflexion sur ce sujet(1), le développement n'est-il pas l'affaire de tous et l'avenir de tous?
Ainsi, tout individu, d'où qu'il soit, peut légitimement aspirer à un air et à une eau de qualité, à une nourriture suffisante, à un toit confortable, à un travail gratifiant, tout cela dans une atmosphère de paix et de respect de la différence et de la diversité. En parallèle, il doit pouvoir assurer la protection et la survie de son patrimoine, tant naturel que culturel. Bref, tout être humain jouit d'un droit fondamental à un cadre de vie de qualité et à un environnement sain. Par démocratie, il faut entendre le respect, non seulement des droits individuels, mais aussi des droits collectifs, en particulier ceux des femmes et des premiers peuples, de participer activement et pleinement à la quête d'un développement.
Si le développement doit se réaliser dans un contexte démocratique, il est aussi nécessaire, dans cette démarche, de respecter l'autonomie des États, des peuples et des ethnies dans leurs choix de développement. Cela ne signifie pas pour autant que les États doivent fonctionner en vase clos. Au contraire, ils doivent adopter une vision globale du développement et de sa planification, en participant activement aux forums et processus à caractère international où sont déterminés de façon concertée les grands objectifs communs de développement.
Cela n'exclut pas, non plus, l'établissement de normes environnementales communes à l'échelle internationale, bien que chaque État puisse se doter de normes nationales qui respecteront les grands objectifs communs. Il importe, à cet égard, de respecter un principe selon lequel la protection de l'environnement constitue pour les États une responsabilité commune mais différenciée, dans la mesure où l'élaboration et l'application de ces normes par les pays moins développés respecte, à la fois, leur capacité et leurs limites d'intervenir et d'assumer les coûts afférents, et leurs responsabilités à l'endroit d'un problème environnemental.
En parallèle, il faut reconnaître qu'il existe, dans ces pays, un potentiel certain de compétence et de savoir-faire qui demeure souvent peu exploité en l'absence de structures de soutien appropriées. Interviennent dès lors les besoins accrus d'entraide, de coopération et de transfert du savoir et de « technologies propres », éléments qui découlent directement de cette interdépendance des pays dans la mise en œuvre d'un développement.
La notion d'équité est au cœur de toute la question du développement. Cette notion repose à la base sur la reconnaissance du caractère mondial et commun de l'environnement planétaire et sur la nécessité d'en partager les ressources dans une perspective de pérennité. En matière de développement, la question de l'équité doit être transposée à trois niveaux. En effet, il faut viser à établir l'équité au sein des populations ou États, entre les populations ou États et entre les générations.
L'objectif d'équité à l'intérieur même d'une population ou d'un État est essentiellement de combler les besoins de tous et d'améliorer la qualité de vie par le biais d'une meilleure répartition de la richesse. Quoi qu'on en pense souvent, cet objectif ne concerne pas uniquement les pays les plus démunis, mais aussi les sociétés occidentales, où les disparités ont eu tendance à s'accroître au cours de la dernière décennie.
À un autre niveau, les effets néfastes du sous-développement et les disparités évidentes entre les pays développés et ceux qui le sont moins, montrent que le développement ne peut se réaliser sans une réduction des écarts entre les pays riches et les pays pauvres, donc sans une lutte acharnée à la pauvreté. C'est d'ailleurs en ce sens que le développement ne peut être abordé uniquement dans sa perspective environnementale, surtout dans les pays du Sud, où il doit être atteint par l'accélération du développement.
Enfin, l'un des plus grands défis du développement demeure sans doute cet objectif d'équité entre les générations. Dans les termes de la Stratégie pour l'Avenir de la Vie :
Chaque génération devrait avoir à cœur de laisser derrière soi un monde au moins aussi riche et productif que celui dont elle a hérité. Le développement d'une société ou d'une génération ne doit pas s'exercer au détriment de celui des autres sociétés ou générations(2).
Encore à ce niveau, certains choix de développement devront être faits, choix qui exigeront bien souvent de nouvelles approches, ainsi que des attitudes et des comportements différents.
Découlant de la notion d'équité, la notion d'interdépendance devient une autre condition fondamentale du développement dans la mesure où l'intérêt commun ne peut être respecté que par le biais de la coopération internationale. Avec l'industrialisation, l'amélioration des capacités techniques et la mondialisation des échanges et du commerce, l'interdépendance, même locale, n'a fait que s'accentuer, entraînant son lot de problèmes, comme la perte de droits traditionnels sur certaines ressources et la poussée de la production commerciale, sinon industrielle, avec en corollaire une réduction du pouvoir décisionnel des communautés locales et des individus. Mais, l'interdépendance déborde de son cadre local et régional pour prendre aujourd'hui un caractère mondial, particulièrement en regard des problèmes environnementaux qui affectent la biosphère.
Cette interdépendance des individus et des collectivités exige au départ la reconnaissance de l'intérêt commun face à l'environnement, pour que chaque décision et chaque action soient mises de l'avant en toute connaissance de ses répercussions sur l'environnement et le mieux-être d'autrui. Plus que toute autre chose, l'interdépendance repose sur la capacité d'entraide et de coopération à tous les niveaux d'intervention, de l'échelle locale à l'échelle internationale. Bien que la coopération internationale dans le domaine de l'environnement se soit accentuée au cours de la dernière décennie, il demeure que plusieurs aspects doivent encore être réexaminés et réorientés dans l'optique du développement.
L'intérêt qu'ont tous et chacun de préserver l'environnement et d’en faire une utilisation fait, qu'au départ, tous les États ont la responsabilité de préserver et de restaurer l'environnement et de se développer en conséquence, sans faire de tort à leur propre environnement et à celui d'autrui. Ils doivent donc tous participer activement et être solidaires dans cette cause. Par ailleurs, la notion d'équité, selon qu'elle s'applique aux pays et aux nations ou aux générations et aux individus, suggère que les responsabilités de chacun peuvent être différentes et complémentaires, en fonction des besoins propres à chacun. Ainsi, ces responsabilités pourront varier proportionnellement à l'ampleur des préjudices à l'environnement et selon les capacités de chacun d’intervenir et de limiter ces atteintes. D'autre part, dans le contexte de la mondialisation des échanges et des problèmes d'environnement, il est primordial que l'on puisse lier les bénéfices économiques et les répercussions environnementales d'une activité commerciale donnée, de sorte que les responsabilités de chaque intervenant soient reconnues, c'est-à-dire que chacun soit imputable de ses actions. Certains ont soutenu que la question de l'imputabilité et, par le fait même, de la responsabilisation de tous et chacun, peut assurer une certaine redistribution des bénéfices dans la mesure où des compensations peuvent être établies, par exemple pour l'usage des ressources naturelles ou pour les impacts subis par l'environnement. C'est peut-être par une telle voie que les pays plus nantis peuvent davantage contribuer au développement des pays moins nantis et prendre une part active dans la résolution des problèmes d'environnement.
La responsabilité collective et individuelle de gérer durablement l'environnement et les ressources naturelles doit tenir compte à la fois des générations actuelles et des générations futures. Privilégier la responsabilisation des intervenants, c'est en même temps encourager le principe d'intendance, c'est-à-dire compter sur un représentant des générations actuelles et futures qui agit comme le « gardien » des ressources naturelles et de l'environnement.
Outre les cinq conditions fondamentales qu’il est nécessaire de remplir pour assurer la réalisation du développement, il est aussi possible de définir cinq grands principes qui sous-tendent tout autant la mise en œuvre de cette notion. Ces principes ont, plus que les conditions susmentionnées, trait à la définition même du développement.
De toute évidence, environnement et économie sont étroitement liés. Plus qu'un simple principe, ce maillage est une nécessité pour le développement. À ce titre, divers instruments ou politiques économiques peuvent favoriser le développement, ou à tout le moins conduire à une utilisation plus environnementale des ressources. Ces instruments ou politiques, par exemple l’approche pollueur-payeur ou consommateur-payeur, peuvent être orientés autant vers les producteurs que vers les consommateurs et les contribuables, et permettre au marché de fixer correctement le coût global de l'utilisation des ressources. Toutefois, pour que la valeur réelle des ressources naturelles soit prise en compte, il faut souvent que les producteurs et les agents économiques changent d'attitude. Il n'est donc pas exclu que des incitations fiscales ou d'autres instruments économiques soient nécessaires pour favoriser cette fusion de l'environnement et de l'économie.
L’intégration de l’environnement et de l’économie est autant à l’avantage des pays moins nantis qu’à celui de ceux qui le sont plus car, si les modèles de production respectent à la fois les règles économiques et environnementales, il peut y avoir un meilleur équilibre des avantages comparés de production. Il peut aussi s’ensuivre un assouplissement des règles du commerce mondial, ce qui permet aux pays moins nantis de prétendre à un meilleur développement économique.
Certains indicateurs économiques traditionnels peuvent aussi servir de balises pour l'évaluation du degré d'intégration de l'économie et de l'environnement. Nous pensons ici notamment au Produit intérieur brut et au revenu per capita, ou encore à des indicateurs plus globaux qui prennent en considération les aspects sociaux, comme par exemple l'indicateur de développement humain qui comprend la longévité, le niveau d'instruction et le revenu, ou enfin des indicateurs strictement environnementaux comme la qualité de l'eau, l'utilisation des sols, etc.
La réalisation du développement suppose que l'on puisse préserver la diversité biologique, maintenir les processus écologiques et les systèmes entretenant la vie, et utiliser de façon les espèces et les écosystèmes. C'est donc dire qu'un développement basé sur la conservation des ressources nécessite le recours à des mesures énergiques qui permettront de protéger la structure, les fonctions et la diversité des systèmes naturels dont dépend la vie.
Ces mesures doivent viser les espèces et les écosystèmes, ainsi que le patrimoine génétique qu'elles recèlent. Conséquemment, les limites et la capacité de renouvellement des ressources naturelles que sont les sols, les espèces sauvages et domestiques, les forêts, les pâturages et les terres agricoles, les eaux douces et les écosystèmes marins ne doivent pas être compromises. Même dans le cas des ressources non renouvelables, il faut faire en sorte de prolonger leur durée de vie en développant et utilisant des technologies plus performantes et plus propres et en privilégiant les techniques de réutilisation et de recyclage.
Tout d’abord, il faut donc changer les comportements et les attitudes des individus et des collectivités face à l'environnement et leur donner les moyens véritables de le mieux gérer. Ensuite, au niveau des États, il faut mettre en place des approches qui intègrent le développement et la conservation des ressources, sur la base d'informations et de connaissances suffisantes et par le biais d'instruments juridiques et institutionnels appropriés. Enfin, au plan international, il faut favoriser l'élaboration, l'adoption et la mise en œuvre de conventions et protocoles relatifs à l'environnement et aux ressources naturelles.
La précaution, la prévention et l’évaluation constituent le point de départ d'un véritable développement. Elles doivent faire partie intégrante de la planification et de la réalisation de tout projet de développement. Planificateurs et décideurs doivent développer le réflexe de prévoir et de prévenir les conséquences environnementales des projets.
Les mesures de protection de l'environnement actuelles sont des précautions, mais elles constituent fréquemment des baumes qui ne sont pas toujours compatibles avec le concept de développement, surtout dans une perspective à long terme. Reste cependant que les concepts de précaution, de prévention et d’évaluation s’avèrent difficile à inculquer parce qu'ils sont souvent éloignés de la réalité quotidienne et que leurs bénéfices se font sentir dans un avenir plus ou moins lointain. Si prévenir c'est guérir, prévoir c'est savoir, et évaluer c'est planifier, il est impératif que les États et les sociétés adoptent ces trois adages pour que le développement présent se transforme en développement.
L’atteinte du développement est devenue une responsabilité collective qui doit se concrétiser par une action conjuguée à tous les niveaux de l'activité humaine. La consultation et la concertation à tous les échelons décisionnels sont indispensables à la gestion des ressources des écosystèmes terrestres, aquatiques et marins. Il incombe à tous les États et à toutes les nations de collaborer de bonne foi et dans un esprit de partenariat à la mise en œuvre de stratégies efficaces pour protéger, préserver et restaurer l'environnement. Tous doivent participer activement et faire leur juste part, compte tenu de leur capacité et des moyens dont ils disposent.
Chaque État doit accepter ses responsabilités en privilégiant des politiques et des programmes de croissance économique compatibles avec la protection de son environnement et de celui des autres. Il doit veiller à ce que soient protégés les écosystèmes qui présentent une importance particulière pour la culture et les modes de vie des populations qui en dépendent. En outre, il doit améliorer les conditions de participation des organisations non gouvernementales et des collectivités décentralisées ou locales afin de les faire participer davantage à toutes les activités concernant le développement et l'environnement.
D'autre part, les États doivent ensemble renforcer le droit international en adhérant aux conventions et protocoles existants en matière de conservation et de gestion de l'environnement et en se dotant des lois nécessaires à leur application. Ils doivent également promouvoir et élaborer de nouveaux accords ou outils jugés nécessaire à la réalisation du développement.
La concertation et le partenariat supposent aussi que les pays mieux nantis mettent en place des mesures d'aide financière et technique qui permettraient aux pays moins nantis d’intégrer plus facilement les questions environnementales à leurs programmes de développement. La création de fonds spécifiques à la protection et à la restauration de l'environnement mérite certainement considération.
La préservation de la diversité biologique illustre fort bien l’interdépendance des « blocs Nord et Sud » dans le nécessaire établissement de nouveaux partenariats. En effet, les principaux « centres ou foyers de diversité biologique » se situent davantage dans les pays du Sud, alors que les grands « centres de technologies ou de biotechnologies » se trouvent principalement dans les pays du Nord. C'est donc dire que pays du Sud et pays du Nord doivent être partie prenante à toutes les discussions, solutions et conventions nécessaires à la réalisation du développement. Tous doivent s’assurer que les mesures d'intervention soient adaptées aux réalités propres à chacun. Les pays les plus développés devront sans doute consentir les efforts nécessaires à un meilleur développement des pays moins nantis et, notamment, à une plus grande accessibilité de ces derniers aux technologies les plus appropriées.
La sauvegarde de l'environnement et la réalisation du développement dépendent non seulement de questions techniques et économiques, mais aussi de la modification des idées, des attitudes et des comportements. La participation directe des individus et des collectivités est essentielle. Tous et chacun doivent prendre pleinement conscience de leur environnement, en connaître les exigences et les limites et modifier leurs habitudes et comportements en conséquence.
Pour ce faire, les États doivent, de leur côté, élaborer des stratégies visant à mieux éduquer, informer et sensibiliser leur population en matière d’environnement et de développement. Par exemple, il y a lieu de privilégier l'intégration des préoccupations écologiques et environnementales dans les programmes scolaires; de sensibiliser le grand public grâce à de vastes campagnes d'information, notamment par le biais des médias; d’encourager la mise sur pied de projets verts dans les communautés locales; et d’élaborer des programmes de formation qui prônent une gestion plus avisée des ressources et l'utilisation de technologies propres.
Le développement est en quelque sorte une question d'équilibre entre les besoins des générations présentes et ceux des générations qui suivront. Cet équilibre prend tout son sens lorsqu’il est placé dans un contexte d’intégration économique à une échelle mondiale.